Chroniques d'un confiné alsacien, acte#9

01/04/2020 09:00
393 lectures
Annonce Officielle
Au gré des publications quotidiennes sur les réseaux sociaux, qu’on apparente rarement à une cascade de bonheur, et plus souvent à la vidange d’un égout, mon attention s’est portée sur une annonce officielle de la plus haute importance. Qui n’a, en fait, rien d’officiel.

Il sera aujourd’hui question d’analyse et de sens critique, ce qui vous passionnera autant que la lecture de feu l’annuaire téléphonique en version papier.

D’abord, l’auteur. J’ai pensé un temps avoir la joie et le bonheur d’annoncer que le Grand Marabout Fofana 1er était de retour. Vous vous souvenez ? Celui qui postait des affiches alléchantes de téléconsultations de 10 minutes à 140 euros, et qui promettait de régler vos problèmes de sexe, argent, santé, famille, divorce, et travail dans les décoctions de pattes de mouche. Hélas, il n’en est rien, il est retenu en séminaire à Fleury-Mérogis pour deux semaines encore.

Nous avons ici à faire à un auteur anonyme. Une forme évoluée de « Pascal Praud », à la vague compétence de mise en page sous « Word », qui manie le verbe et le complément comme un singe manie la fission nucléaire. Je vous propose qu’on se l’approprie affectueusement et qu’on l’appelle Marcel : Ceci, pour nous permettre d’imaginer ce charmant personnage, avec ses bretelles, son gros bidou et ses « schläppe ».

[N.D.L.R : Si vous connaissez un Marcel et que vous l’aimez bien, vous pouvez remplacer par Alfred.]

« Le personnel qui travaille à l’hôpital souhaite que ce message soit diffusé à tous !!! »

Bon. Démarrons notre enquête et relevons les premiers indices. Au vu de la précision (pas de date, pas de lieu, pas d’en-tête officielle), ça ne hume pas la fragrance de la sincérité. Ca « schmeck » plutôt le pâté « Tulip » ouvert depuis trop longtemps, et l’initiative personnelle : Marcel s’est lâché !

Marcel se positionne ici en relai. Il a sauté sur sa mobylette, direction l’hôpital, pour répondre, tel Jeanne d’Arc, aux voix qui l’ont appelé. Et il va nous maintenant nous informer, et retranscrire le contenu de son sommet du G7 à lui, avec l’ensemble du personnel de l’hôpital :

« Marcel, on est tous rassemblé ici, au bureau des urgences, et on te remercie d’être venu si rapidement. En cette période difficile, nous sommes totalement débordés et n’avons plus le temps, ni d’informer, ni de communiquer. Rien. Pendant que nos patients en « réa » font de l’escrime avec les tuyaux souples de leurs respirateurs, pour s’occuper, on a juste trouvé le temps d’organiser, tous ensemble, une réunion essentielle avec toi. Marcel, aides-nous. Toi seul le peux. Dis leur, à eux dehors, ce qu’il se passe. Avec tes mots, parce que nous, ils ne nous comprendraient pas, nous sommes médecins. Relaye la parole, Marcel ! »

Et donc, Marcel a relayé.

« A partir de demain, ne quittez pas la maison ! Et pour le pain, si vous pouvez congeler, car le pire commence. »

Tout commençait bien. L’alerte était directe, claire et concise. Et paf, il trébuche par excès de zèle. De porte-parole du monde hospitalier, il devient V.R.P. des boulangers-pâtissiers du Bas-Rhin. Parce que Marcel est alsacien, C’est O-BLI-GA-TOIRE. Un virus mortel rode, et décime la planète entière. Des gens agonisent, un système économique planétaire va être bouleversé. Marcel, lui, il pense à congeler le pain. On pense vraiment qu’à bouffer, nous, les alsacos.

« La date d’incubation est respectée et de nombreux positifs vont commencer à sortir et beaucoup de gens peuvent le contracter. »

Après l’introduction, nous voilà désormais dans la partie développée du message, qui doit nous fiche la trouille. La terreur. Jusqu’à hier, aucun problème, tu pouvais danser en short à la boucherie. Maintenant, les infectés vont sortir, comme les zombies dans Walking Dead sortent de terre. De partout. Des maisons, du Super U, de La Poste. Et même de la boulangerie, c’est pour dire comme c’est sérieux. Les positifs ont incubé comme Marcel à cuvé, pendant 14 jours précisément. Et, telle une grenade dégoupillée qu’on aurait dans notre poche, le virus va exploser, à 8h00 précises, ce matin. Parce que l’alsacien, il est strict sur le respect de la date.

« Il est donc important de rester à la maison et de ne pas interagir avec personne. »

Ouch. Interagir avec personne, ou ne pas interagir avec quelqu’un. Sinon, ça veut dire que tu peux rouler des pelles au caissier du super U là, Marcel. Double négation, ça fait du positif.

« La période d’incubation est de deux semaines, normalement durant ces deux semaines, tous les infectés se déclarent, puis il y a deux semaines de calme, et puis deux semaines où ils diminuent. »

Il nous a tricoté une phrase, mais les mailles sont un peu sens dessus dessous, et vraisemblablement cousues de fil blanc. C’est la partie « scientifique » du message, argumentaire censé nous convaincre définitivement. Mais votre sourcil droit s’est soulevé d’un doute certain, à juste titre, je le vois bien. On y trouve pourtant le fameux rétro-planning, avec un scénario d’évolution et des prévisions, que Marcel a capté sur BFMTV. Il nous résume 7 heures de programme en 3 actes : Incubation / Pause / Diminution.

1) Nous voilà quand même pleinement rassurés: Les deux premières semaines se sont écoulées, et tous les porteurs se sont donc maintenant officiellement déclarés avec le CERFA N°A215BX44. Ils arborent leur petit smiley « COVID-19» sur le tee-shirt, nous les reconnaissons dans la rue, et pouvons, à loisir, leur jeter des bouts de pain congelé dessus, depuis nos fenêtres.

2) Nous voici à présent dans la période calme : « Pouce Corona ! C’est la trêve ! » On se dépêche d’organiser le mëssti et un ou deux marchés aux puces, vite fait, pour reprendre des forces. C’est chouette ça. Bah, il n’est pas si méchant finalement, Coco ! Il respecte même les règles des alsaciens en plus.

3) Attention toutefois aux deux semaines de fin, ou les infectés vont diminuer : « Chérie, les gosses ont rétréci ! » « Tu t’inquiètes trop mon chat, Marcel avait prévenu, c’est tout à fait normal. Evites juste de marcher dessus ! ».

« NOUS SERONS EN STADE D’INFECTION MAXIMALE »

Ah, là, on ne plaisante plus du touuuut : L’utilisation de la majuscule, la couleur des caractères, et le centrage du texte, sont des indices concordants nous indiquant que le message est d’importance. Voilà la phrase clé, qu’on doit retenir. Ça chauffe là, Marcel !
Ah ben non en fait, c’est marqué « Nous serons », donc on n’y est pas encore. Chouette, j’remets mes tongs je retourne à la piscine. On s’revoit dans deux semaines, hein.

« Veuillez transmettre ce message à tous vos contacts »

C’est ça. Tu peux rêver. Vu que t’es aussi clair que l’eau du lac Achard, tu peux aller te brosser, Marcel. Mais on te pardonne tous, parce que ça part d’une très bonne intention. Tu participes, à ta manière, à l’effort de guerre. Alors, si, on va quand même le transmettre, ton message. Mais avant, j’vais un peu l’assaisonner à ma sauce, pour qu’on puisse tous ensemble te trouver ensuite une jolie punition, comme écrire 500 fois :

« Je ne propage pas des conneries alarmistes, je me contiens, et déverse ma passion de l’information par mail à contact@bmftv.com plutôt que sur les réseaux sociaux.»

[N.D.L.R. : Un lecteur anonyme de la région de STILL (67190) s’est manifesté, et souhaite exprimer son désaccord quant au traitement injuste réservé à ARTE, dans deux chroniques précédentes. La rédaction s’excuse humblement, et confirme qu’elle apprécie elle-aussi énormément ARTE, et notamment les nombreux documentaires historiques.]

J’vous embrasse.

https://scontent-frt3-2.xx.fbcdn.net/v/t1.0-9/91268313_1021802425...

Commentaires (0)

Flux RSS
  • Aucun message pour l'instant.

Commenter

Flux RSS Le stublog de daikaran : billets, souvenirs...

daikaran

  • 46 ans
  • Inscrit(e) le 03/10/2015
  • Erstein

Voir son profil complet

Chargement... Chargement...