Chroniques d'un confiné alsacien, acte#6

30/03/2020 15:10
231 lectures
Kaléidoscope.
La vie est un kaléidoscope de gens, de régions, et de pays. Des extrêmes et des modérés, des grands et des petits, des riches et des pauvres. Et nous ne sommes de fait pas tous égaux devant le confinement.

Pour un alsacien, le confinement est quelque chose d’assez aisé et naturel, puisqu’on est globalement confinés chez nous, tous les ans de septembre à mai, à partir de 17h30. Soit il fait nuit, soit il pleut, soit il gèle. Et régulièrement les 3 en même temps. Chacun étant chez soi, il y a, sur la place du village, au moins autant d’activité que de personnes qui regardent ARTE, c’est-à-dire aucune ou presque. On a aussi un rythme bien à nous : A 6 heures, on se lève. A midi : on mange. A 17h30, on ferme les volets. Et à 18h30, c’est « Rund’Um » avec Simone Morgenthaler sur France 3.

Ce n’est pas partout pareil.

Je me rappelle ainsi une réunion de boulot à Paris, que j’avais rallié avec le TGV de 7h18.

[N.D.L.R : Oui oui, le même que celui qui a déraillé récemment, j’voudrais pas faire de parano, mais bon, les signes m’inquiètent quand même…].

Arrivé au bureau, j’avais eu la grande surprise de constater, venant de Strasbourg, que j’étais le premier sur les lieux. En région parisienne, on commence tard le matin. Et comme on commence tard, ça décale tout. Vers 13h45, au bord de l’hypoglycémie, je m’étais risqué à une question, à la fois pertinente et vitale : « Dites, vous ne bouffez jamais ici ? ». Si, mais tard. Teêeellement tard… Depuis, je ne quitte plus mon Alsace natale sans mon « tupp’ » avec un morceau de Lyoner Wurscht dedans. Ce qui enchante les passagers du wagon, tout alléchés qu’ils sont par l’odeur de mon casse-croute matinal.

J’ai la chance d’avoir de la famille dans le Sud, et comme j’affectionne Marcel Pagnol, la garrigue, et le vin d’orange de tonton Guytou, c’est une région que j’aime profondément. Pour eux, tout loin là-bas, le confinement, ça doit être une sacrée galère : Le provençal est une espèce qui vit essentiellement dehors la journée, et qui continue à sortir à la tombée de la nuit. On le comprend mal quand il s’exprime, parfois, mais il est très attachant. Pour un alsacien comme moi, quand tu « descends » dans le Sud, tu te prends dans la tronche le même jet lag que si t’étais allé dans le centre de l’Ouzbékistan.

J’me demande comment ils font pour la pétanque. Comme nous on se retrouve au « Super U » le samedi après-midi, leur point de rencontre quotidien à eux, c’est le terrain de boules. A mon avis, ils ont dû inventer un truc dans les lotissements, avec le confinement, parce qu’ils ne doivent pas pouvoir s’en passer : Le Boulminton ! Un jardin désigné fait office de cochonnet, et ils balancent leurs boules depuis les fenêtres des autres baraques du quartier, par-dessus les clôtures. Ce qui, en plus de relancer l’activité locale des artisans de la vitre, génère des exclamations fleuries et poétiques comme « Ensuuuqué ! » ou « Avâaaleuh, feignaâasse ! »

[N.D.L.R: Cette dernière expression n’a aucun lien avec la récente gratuité de PornHub. Elle consiste à « encourager » la boule pour gravir les derniers centimètres vers son but ultime : le cochonnet]

Autre région que j’aime tout particulièrement, l’Emilie-Romagne, en Italie. Forcément, quand on est alsacien, on a déjà tous été à Rimini, pour se dépayser et retrouver les voisins du quartier, au parasol d’à côté. Là-bas, le lien social, c’est essentiel. C’est quand même le seul endroit au monde ou tu mets 3h30 pour faire les 100 mètres qui séparent l’hôtel de la plage, tellement tu discutes. En trainant les tongs à chaque pas sur le macadam avec le « Scriiitch » caractéristique, hein. On se parle quand on ne se connait pas, on se parle quand on n’a rien à dire, et on se parle même quand on ne parle pas la même langue et qu’on ne se comprend pas. M’enfin, ils sont bien adaptés au confinement, les italiens : Ils parlent fort, et ont donc une prédisposition toute naturelle à se gueuler des trucs de balcon en balcon, comme on le constate tous les soirs sur les vidéos qu’ils montrent à la télé.

Bon, sans vouloir paraître insistant quant à ma paranoïa, je viens d’évoquer 4 régions, qui sont toutes des clusters majeurs du Covid-19.

Heureusement, la solidarité se met en place et les dons, de partout, affluent. Les entreprises locales sont de plus en plus impliquées dans la guerre que nous menons contre le méchant virus, et c’est formidable : On signale ainsi que la quincaillerie Metzger de Niederschaeffolsheim vient de livrer 12 palettes de conduits en inox, Sol & Parquets d’Alsace a offert 110 mètres carrés de Lino de la collection « Tendance et Style » et le garage Schweier de Lutzelhouse a fait don de 12 crics hydrauliques. A l’EHPAD des Missions Africaines, on se demande maintenant ce qu’on va pouvoir foutre avec tout ce bordel, qui encombre quand même sérieusement le sous-sol.

Ah. Et les récompenses pour nos soignants, en fin de crise. Tout allait bien tant que c’était des massages gratuits au spa de Ribeauvillé, ou des réductions sur les Croc’s blanches « Scholl » de la nouvelle collection. Mais, dans cette surenchère générale de générosité, tout le monde s’y met : Les fermes de Lapoutroie leur offrent leurs poids en Munster, la boucherie Schweinsteiger de Gumbrechtshoffen un abonnement annuel à Rognons & Ris de veau magazine, et la poterie Krebs un masque FRP2 en grès de Betschdorf. Qui ne sera pas forcément pratique quand elles éternuent.

Si on leur offrait juste notre reconnaissance et des conditions de travail décentes, vous pensez-pas que ce serait déjà super ?

Pour terminer, une question. Essentielle et fondamentale. Le genre d’interrogation qui te taraude du matin au soir. Et qui t’obsèdes la nuit, quand tu as la tronche plissée sur le coussin du canapé façon Carling. Et que tu ouvres difficilement l’œil droit pour constater que la télé est allumée et que tu viens de rater la fin du « Très chasse » sur la grivette dorée dans le Cantal. LA question dont la réponse devra résoudre tous nos maux. La solution à tout ce merdier actuel :

Le Docteur Raoult de Marseille !

Celui qui va vraisemblablement être sauveur du monde, avec son traitement à la Chloroquine. Celui dont tout le monde parle, tout le temps. Celui dont on sait qu’il est formidable et pas du tout en même temps, grâce à BFM. Celui qui est respecté par tout le monde mais pas du tout crédible auprès de la communauté scientifique, ce qui nous rassure vachement. Lui, le Zorro du corps médical, l’ermite de la tribu des hypocrates, le Dimitri Liénard de la France, l’élu, le messie. Alors oui, une et une seule question :

Pourquoi diable, nous français, avons-nous choisi un héros pour le monde qui a exactement la même tronche que Raël, du mouvement raëlien ? Et presque le même nom, en plus…

[N.D.L.R : J’suis sûr qu’il est en claquettes sous son bureau et qu’il danse tout nu avec des colliers en perle une fois que les journalistes sont partis…]

Salü bisàmme et prenez soin de vous !

Commentaires (1)

Flux RSS 1 message · Premier message par kitl · Dernier message par kitl

  • Le Raoult, je le vois plutôt comme un Croisons-les entre Philippe Lucas (le coach de natation) et Gilbert Gress.

    Il va nous montrer qui c’est Raoult !

Commenter

Flux RSS Le stublog de daikaran : billets, souvenirs...

daikaran

  • 46 ans
  • Inscrit(e) le 03/10/2015
  • Erstein

Voir son profil complet

Chargement... Chargement...