Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

La saison en enfer (2/3)

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Par mediasoc
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Deuxième partie de l'entretien avec Roland Muller, réalisateur du documentaire "La saison en enfer". Dans cette partie, il relate sa rencontre avec les acteurs de la chute du club.

Premier volet de l'entretien

En sortant du documentaire, on est entre deux feux pour expliquer la chute du club. D'un côté une situation que beaucoup de clubs connaissent, avec des raisons économiques de péricliter. D'autres clubs comme Le Mans, Auxerre, Lens connaissent la même crise que le Racing. De l'autre côté on a le sentiment qu'il s'agit de quelque chose de propre au Racing, qui vit une répétition de son Histoire.

Il y a les deux, je n'avais d'ailleurs pas de position précise. L'idée du producteur était de dire qu'une ville comme Strasbourg, 7ème ville de France, est-ce qu'elle peut se permettre de ne pas avoir de club de football ? Et dans le même temps, ce que connaît le Racing concerne un certain nombre de clubs en France, qui sont surendettés et qui se cassent la figure. On est comme dans une bulle financière et on ne se rend pas compte que beaucoup de clubs vont morfler ainsi. On pense que le Racing est un bon exemple pour interroger le football sur ces questions-là. Le point de vue de départ était plutôt dans l'expérience que vit le Racing et qui parle du football dans son ensemble. Dans cette optique, nous l'avions aussi proposé à France Télévisions, mais ils venaient de faire un film sur Marseille et avaient d'autres films en préparation sur Paris ou Lille, et donc Strasbourg n'était pas certain de faire de l'audience même si la question sociale était intéressante... Mais une fois qu'on avait posé la question à différents interlocuteurs, on s'est aperçu que ce n'était pas un événement qui venait juste de se passer mais que c'était dans la réputation du club de fournir ce genre d'histoire. Ça fait longtemps que l'on voit que Strasbourg a des difficultés avec sa gestion intérieure et extérieure. Comme le dit Carlo Molinari, les dissensions sont de tout temps.

J'ai retrouvé dans le film ce que je ressens avec les supporters, plus on avance dans la discussion, plus on revient dans la chronologie. On se dit que le coupable est Hilali, puis Ginestet, puis on en vient à Trautmann en 1997, on peut remonter à André Bord aussi...

C'est ce que j'ai entendu des supporters, quand je suis allé filmer les matchs alors que je ne savais pas encore quelle place le sport allait prendre dans le film. Finalement, je n'avais pas assez de temps à consacrer au foot et que ce n'était pas sa place finalement. Par exemple à Steinseltz, c'était toujours l'affaire Trautmann ou Ginestet, mais surtout Hilali, tout le monde revenait là-dessus. C'est d'ailleurs pourquoi je voulais rencontrer Hilali. C'est une expérience qui était assez redoutable. On a passé une journée ensemble, mais on voulait d'abord le voir à Londres mais finalement il est venu à Saint-Louis. Des heures d'interviews avec lui, on ne sait pas tirer le vrai du faux. Au final, mon propos n'est pas de casser du sucre sur Hilali, mais de lui donner la parole. Il a perdu cinq millions d'Euros dans cette affaire, j'avais juste envie qu'il précise son intention, ce qu'il fait un peu dans le film. Il croyait, dans sa logique financière, pouvoir gérer un club de foot sans être présent, en étant draconien au niveau du financement. Je pense que des choses lui ont échappé, ce qu'il n'a jamais voulu avouer, et comme il avait embarqué pas mal d'argent... mais il s'est refait depuis. Son regard, il le construit sur une façon de voir la vie, une façon de voir la gestion, qui est inspiré par la logique financière. Il néglige totalement l'aspect humain, tout l'aspect qui constitue justement cet engouement des supporters, celui qui dit que "c'est notre patrimoine, c'est notre fierté". Le sociologue l'explique dans le film : "vous et moi, nous savons que nous sommes alsaciens parce que nous allons voir un match au Racing", parce que l'avenir du Racing nous préoccupe. C'est de l'émotion pure, qui ne peut être qu'éjecté par le regard financier. Il est resté tout le temps dans cette logique inhumaine en opposant à cela le monde de la finance qui soi-disant sait gérer pour faire développer et grandir des affaires. Il a été égal à ce que l'on m'avait raconté, et très charmant par ailleurs.

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Jafar Hilali, François Namur et Eric Moerckel

Sitterlé est aussi absent du documentaire.

Sitterlé, c'était l'Arlésienne ! J'ai essayé de le joindre et de lui parler pendant très longtemps. En fait, ça a commencé très mal car nous étions deux sociétés de production à vouloir faire un film sur le Racing. Ere Productions, avec qui j'ai fait le film, avait tout de suite proposé l'idée du film à la chaîne de télévision. C'est globalement la procédure depuis les années 90 et la loi Tasca, les sociétés privées peuvent accéder aux publics des chaînes via ce mode de production. Ça permet aussi aux chaînes de ne pas être les seuls financeurs.

Ce n'est qu'après qu'on est allé voir Sitterlé, au mois de septembre environ, qui avait déjà donné son feu vert à une autre boîte ; ce qui nous posait aucun problème après tout, il peut faire ce qu'il veut. Mais il souhaitait aussi le diffuser sur la même chaîne, ce qui semblait fortement improbable... Comme on était devenu la concurrence, il nous a regardé de très haut. Du coup, comme c'était la mort de Steve Jobs peu de temps auparavant, on a un peu appuyé le côté "Steve Jobs alsacien", il nous a bien expliqué la fusée à trois étages, etc. Jusqu'à cet entretien, on a eu quelques barrages à cause de cette histoire de film soutenu par le Racing ou par France 3... Comme France 3 avait choisi Ere Productions comme producteur, la question de l'autre film ne se posait plus... Il parlait de communication transmédiatique mais moi, je fais juste un documentaire, le reste à la limite ne me concerne pas... Mais finalement, je fais un travail sur quelque chose qui n'a pas besoin de son autorisation, c'est quelque chose qui appartient au bien commun, cette idée que le Racing est un morceau du patrimoine alsacien, ça n'appartient pas au "nouveau président propriétaire du Racing".

Tout le long de la saison, il n'a jamais voulu me parler. En fin de saison, j'ai réessayé, histoire d'avoir une interview avec lui quand même ; j'ai finalement passé une heure et demie avec lui, en mai, et il m'a dit tout le bien qu'il fallait penser de lui, et tout le mal que l'on pensait de lui qui ne se justifiait pas. Je donne ensuite la parole à son antagoniste, au Président - qui a été président à sa place - Patrick Spielmann. Le regard qu'il porte aux choses était très intéressant mais l'orateur qu'il est, ne tenait pas la route face à Sitterlé... On pensait qu'il avait complètement tort par rapport à l'autre qui avait complètement raison... Finalement j'ai jeté toute la partie Sitterlé-Spielmann au montage car c'était clair que l'un passait beaucoup mieux que l'autre, en communication seulement. On m'a dit plusieurs fois que ça devait être quelqu'un qui avait un peu d'argent mais qui avait visé trop haut par rapport à ses véritables capacités financières et qu'il pensait s'en sortir en jouant avec la valeur de la marque. Il a été rattrapé par des gens qui voyaient clair dans son jeu.

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Frédéric Sitterlé dans le vestiaire après le match à Steinseltz

Les supporters ont aussi été ballotés toute la saison, jusqu'au dénouement...

C'est un jeu qu'il sait particulièrement bien jouer, et ce n'est pas parce qu'il sait bien jouer ce jeu là que j'allais lui donner encore une place... finalement j'ai préféré ne pas du tout l'exprimer. Comme c'est traité là, c'est beaucoup plus juste, car finalement c'est un épiphénomène, on n'en parlera plus jamais de ce Sitterlé.

Plus tard cet été, bien après ces histoires, vous avez rencontré Marc Keller ?

Oui, après avoir commencé le montage. Marc Keller, c'est "l'insoutenable légèreté de l'être". En quelques jours, il s'est embarqué dans un truc et il me dit à la fin "il ne fallait pas trop réfléchir"... Je suis sûr que c'est vrai et qu'on est en plein coeur de l'émotion qui n'a rien à voir avec ce que prétend faire un Hilali.

Comme nous l'avons déjà évoqué, les supporters sont présents dans le film comme une image de fond.

Ils sont là à travers l'image qu'ils veulent donner. Dans ce quart de virage, ils forment une image, par le groupe, par la quantité de personnes, avec des banderoles, avec un certain nombre d'expressions, avec des chants, ils sont là. Ils sont présents par l'image avec laquelle ils pensent avoir une influence sur la vie du Racing.

Est-ce que c'est une distance que vous vouliez vraiment dès le départ ?

C'est moi qui ait souhaité mettre cette distance. Si j'ai envie d'aller les voir, je sais comment aller les voir. Ce n'est pas parce que quelques uns me disent non que je vais m'arrêter là. Ce qui m'intéresse, c'est de connaître ce qu'est la personnalité et ce que veut exprimer une personne, car ça nous parle de nous. On est tous un peu des supporters. On est tous un peu Hilali ou les autres intervenants du film. Mais j'avais juste l'intention d'aller voir les gens qui tirent les ficelles directement, ceux qui ont pris des responsabilités et qui se sont engagés dans le truc. Dans mon autre film, j'avais entièrement consacré le temps au point de vue des supporters et les politiques n'étaient pas contents (rires).

Un autre absent du film, c'est Stéphane Godin.

C'est François Namur qui m'avait initié à un certain nombre de choses avant le début du film, et il m'avait d'ailleurs présenté Stéphane Godin. A ce moment-là, il était très dur pour lui de s'exprimer en dehors du journal et même dans le journal, parce que Sitterlé lui avait mis des pressions. Il ne voulait pas se compliquer la vie et il s'est excusé de ne pas pouvoir répondre dans le film. Il est allé le voir lors de sa présentation à la presse. J'ai regretté qu'il ne soit pas dans le film mais il fallait accepter la règle du jeu, je ne lui ai pas forcé la main pour qu'il y soit. Il fait un très bon journalisme d'investigation et il est pertinent dans les pistes qu'il m'a proposé. S'il avait été là, il aurait été un vrai sujet à lui tout seul.

(à suivre)

mediasoc

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