La nouvelle quête de RPG

Le poste de latéral droit est sans aucun doute celui qui aura fait le plus parler depuis la reprise estivale. Afin de palier le départ définitif de Frédéric Guilbert, que certains pleurent encore, le Racing avait opté pour le prêt sans option d'achat du Parisien Colin Dagba pour accompagner Karol Fila, dont on espérait enfin l'éclosion, après un an d'adaptation. Or, la faute à des ennuis musculaires, les deux joueurs ont été remplacés par les jeunes Marvin Senaya et Antoine Nuss durant les premiers matchs amicaux. Une situation pas vraiment confortable pour Julien Stéphan, et qui a encore gagné en complexité avec la pubalgie diagnostiquée chez Fila, blessure qui l'éloignera des terrains pour au minimum dix semaines, et sans doute un peu plus avec la phase nécessaire de réathlétisation. Sans tarder, le club a fait le choix de solliciter un nouveau prêt, celui de Ronaël Pierre-Gabriel, revenu cet été du côté de Mayence après deux saisons en prêt à Brest, et qui traverse à nouveau le Rhin pour gagner du temps de jeu.

Celui dont le nom fait inévitablement penser à l'interprète de Sledgehammer est né à Paris en pleine durant la coupe du monde 1998. Après un passage à l'Espérance Sportive Parisienne, où il côtoie Youssouf Fofana, d'un an son cadet, il suit ses parents dans l'Oise du côté de Chevrières. C'est là qu'il est repéré, en 2012, par le le Centre de formation de football de Paris (CFFP), un club qui, comme son nom l'indique, est consacré aux équipes de jeunes et à la formation. Clément Lucas, le responsable technique du club, était convaincu dès la première détection: « on a vite senti un gros potentiel physique alliant puissance et vitesse. Il avait surtout faim d’apprendre et de progresser. » Titulaire en U17 DH avant même son 16ème anniversaire, il est invité à ses essais dans des centres de formation, notamment ceux de l'Inter Milan et de St-Etienne. Les sirène de l'étranger ont déjà fait tourner la tête de beaucoup de jeunes joueurs, mais Ronaël Pierre-Gabriel préfère jouer la sécurité et signe finalement dans le Forez : « à cet âge-là, j’aurais pu me perdre en Italie. Et je voulais ne pas être trop loin de ma famille. »

Chez les Verts, tout va encore très vite. Après une première saison 2014/2015 où il s'impose comme titulaire dans l'équipe U19 Nationaux, il intègre le groupe de l'équipe réserve, menée par Julien Sablé, et tape même dans l’œil de Christophe Galtier à l'étage au-dessus. Après quelques matchs de CFA2, le désormais coach du PSG le convoque dans son groupe et le titularise à la surprise générale le 29 novembre 2015 en Ligue 1, contre Guingamp. Le jeune stagiaire se glisse alors dans la concurrence pour le poste de latéral droit, où ni François Clerc, ni Kévin Malcuit, ni Kévin Théophile-Catherine ne donnent vraiment satisfaction. Une trajectoire fulgurante pour le Parisien de 17 ans : « c’est allé tellement vite. Quand j’ai commencé avec les pros, j’avais des manques tactiques, je crois qu’il me manquait encore des matchs de CFA. » Son temps de jeu avec l'équipe professionnelle restera tout de même limitée à huit rencontres, dont six titularisations, et Pierre-Gabriel continue d'engranger de l'expérience en CFA2.

C'est à ce niveau, lors d'un match de championnat à Sens, le 19 mars 2016, que le joueur va connaître une mésaventure assez marquante, puisqu'il est victime d'une agression au coup de sifflet final. Son entraîneur Julien Sablé raconte : « j’ai assisté à la scène et j’ai eu très peur pour Ronaël. Sur le terrain, pourtant, tout s’était très bien passé. Ce qui est déplorable et inadmissible c’est ce qui s’est produit à la fin de la rencontre. Un joueur de Sens est arrivé par-derrière et a frappé Ronaël. Il lui a mis une droite. C’est de la lâcheté. Ronaël s’est retrouvé dans un guet-apens, il a été roué de coups. L’échauffourée a duré quelques secondes. Il n’a même pas eu le temps de se défendre. Il a subi. Au-delà de ce qui est physique, il a une balafre sur le torse, j’espère qu’il n’y aura pas de séquelles mentales. Il a été choqué. » Pierre-Gabriel, encore secoué plusieurs semaines après, a porté plainte et l'agresseur, Johan Branger, a écopé d’un an de suspension par la commission de discipline de la FFF.

Après un passage par l'équipe de France U18 et surtout, la signature d'un premier contrat professionnel, Ronaël intègre pleinement le groupe de Galtier, dans un rôle de doublure. Mais une blessure aux ischios le tient éloigné des terrains durant plus de deux mois, au cœur de l'automne. Un an plus tard, le départ de Christophe Galtier et l'arrivée d'Oscar Garcia ouvrent une nouvelle perspective. Le jeune latéral droit est propulsé titulaire et enchaîne les minutes lors de ce début de saison 2017/2018. Malheureusement, tout comme l'entraîneur espagnol, il ne survit pas au naufrage face à Lyon (0-5) et perd sa place, malgré l'intérim de Julien Sablé. Son remplaçant, Jean-Louis Gasset ne lui accorde pas plus de confiance et finit par obtenir le recrutement de Mathieu Debuchy, joueur bien plus expérimenté. Après une fin de saison sur le banc, celui qui est entretemps devenu international espoir est sollicité par d'autres clubs, qui ont vu en lui un potentiel à exploiter. En plein dans sa politique de trading, et au cœur d'un été où il brasse des dizaines de millions d'euros, l'AS Monaco n'hésite pas à en poser près de six sur la table pour décrocher la signature de Pierre-Gabriel.

Sur le Rocher, l'effectif est pléthorique et le jeune défenseur de 20 ans à peine perd vite confiance, en enchaînant des blessures (entorse à la cheville, claque à la cuisse). Utilisé à quatre reprises en L1, il passe la seconde partie de saison avec l'équipe réserve, Djibril Sidibé et Benjamin Henrichs étant devant lui dans la hiérarchie. Dans l'impasse, il trouve finalement une porte de sortie en Allemagne, à Mayence, club qui n'hésite pas à débourser 5,5 millions d'euros et à lui proposer un contrat de cinq ans. A sa signature, le directeur sportif du club, Rouven Schröder, est enthousiaste : « nous suivons Ronaël depuis ses débuts à Saint-Étienne. C'est un défenseur complet qui apporte une bonne robustesse physique et qui possède un grand potentiel de développement en attaque et en défense. De plus, Ronaël est une personne avec une immense volonté d'apprendre. » Mais là encore, Pierre-Gabriel peine à s'imposer, plombé par une prestation catastrophique pour sa première titularisation face au Bayer (défaite 6-1). Avant l'arrêt de la saison en raison de la crise sanitaire, il ne dispute que huit rencontres, et commence à sentir que son début de carrière patine.

Désireux de rentrer en France, il est prêté à Brest pour la saison 2020/2021, avec un option pour un second prêt d'une saison supplémentaire. Et cette fois-ci, c'est dans la peau d'un vrai titulaire qu'il part. Olivier Dall'Oglio, qui a beaucoup insisté pour sa venue, loue ses qualité physiques et de défenseur : « c’est un joueur qui aime les duels, qui est puissant et qui est capable de nous apporter offensivement, on l’a vu. Il a besoin de trouver de la régularité dans les performances, d’enchaîner les matches. » Une régularité qu'il a pu retrouver puisque, mis à part l'un ou l'autre pépin sans gravité, l'ancien Stéphanois réalise sa saison la plus complète en L1, avec 29 matchs et un but. Une saison qui avait tout de même bien mal débutée, puisqu'il s'était fait agresser dans le quartier de Pontanézen par plusieurs individus, qui ont ensuite brûlé son Audi RS4.

Toujours sur la Rade à l'été 2021, Ronaël Pierre-Gabriel découvre, comme tous ses coéquipiers, les méthodes de Michel Der Zakarian, et pour le latéral droit, c'est presque une révélation : « j’ai évolué sur un plan défensif, le coach m’a beaucoup remis en place parce qu’au début de saison, j’avais du mal à me positionner tactiquement. J’ai fait beaucoup de travail avec le staff sur la vidéo. Parfois après l’entraînement, des adjoints me prenaient et on regardait des vidéos pour parler tactique, pointer ce qui n’allait pas et ce qui était bien. Ça m’a beaucoup aidé dans mon évolution. Maintenant, j’ai l’impression de mieux défendre. Avec Dall’Oglio l’année dernière, je travaillais moins les points défensifs. » Outre l'aspect tactique, c'est aussi physiquement qu'il a passé un cap, avec un travail de musculation spécifique et un suivi au quotidien par les préparateurs physiques du SB29 et par un ostéopathe. Résultat, le joueur ne connait plus de blessures, et s'impose comme l'un des meilleurs joueurs de Brest, à tel point qu'il figurait tout en haut des souhaits de recrutement de Grégory Lorenzi, le directeur sportif du club : « c’est une priorité pour ce poste, le coach le lui a dit, moi aussi. On a discuté avec son entourage. Ronaël est dans une phase de réflexion. Il se donne le temps, selon les opportunités qu’il aura. Mais nous, on veut s’appuyer sur lui pour les années à venir. » Un désir qui restera donc vain pour les Finistériens.

En deux saisons en Bretagne, Pierre-Gabriel a disputé une soixantaine de rencontres, et semble-t-il passé un cap dans son jeu, lui qui a été lancé très tôt, voire trop tôt, dans le grand bain, à un âge où les joueurs peaufinent leurs bases tactiques et techniques. A 24 ans, et alors que son horizon est encore bouché à Mayence, il aura l'occasion de confirmer définitivement son éclosion à Strasbourg, où il apportera un profil différent de celui de son concurrent Colin Dagba. Et malgré sa taille de 1,77m, il n'est pas impossible que Julien Stéphan puisse être tenté d'utiliser ses qualités défensives à un poste de défenseur axial droit.


Citations issues du Progrès, 20 Minutes et Ouest France