Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Docteur Muller & Mister Wendling

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Par kitl
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Jean Wendling, 26 sélections en Equipe de France

Révélés à Strasbourg puis acteurs des derniers titres du Stade de Reims, Lucien Muller et Jean Wendling figurent parmi les meilleurs footballeurs alsaciens de l’histoire. Longtemps inséparables sur les terrains, ils peuvent chacun se targuer d’une reconversion réussie.

Tous deux éléments de la classe 1934, le milieu offensif et l’arrière droit sont pleinement intégrés au onze du Racing à vingt ans seulement. Lucien Muller arrive du FC Bischwiller, club alors aussi dynamique que la cité textile du nord de l’Alsace. Son alter ego, natif des faubourgs de la capitale régionale, a déjà quelques titularisations à son actif aux côtés de René Hauss et Raymond Kaelbel. Renforcé par l’attaquant néerlandais Bert Carlier et le magicien autrichien Ernst Stojaspal, le RCS signe en 1954-55 sa plus belle saison de l’après-guerre. Longtemps en course pour le podium, toujours en lice en Coupe de France, les hommes de Pepi Humpal calent au printemps : la saison s’achève sur cinq matchs sans victoire, une élimination cinglante à Colombes contre Lille (0-4) aux portes de la finale et une quatrième place frustrante.
Titulaires à part entière – normal, les remplacements n’étaient pas autorisés –, Muller et Wendling continueront sur leur lancée avant de connaître, à l’image du Racing, un coup d’arrêt en 1956-57. Le jeune inter dispute seulement 11 rencontres (4 buts) et l’arrière droit 15. Des absences concomitantes, de la fin septembre 1956 à la fin mars 1957, très certainement imputables aux « événements d’Algérie » et fortement préjudiciables au Racing. Cinquième au bout de cinq journées, Strasbourg a fini par plonger dans la zone rouge, en dépit du retour des appelés, d’abord en janvier lors d’une permission puis définitivement à partir du printemps. Le mal est fait, malgré les prouesses de Stojaspal, le RCS est condamné à un nouveau séjour en deuxième division.

Comme l’attaquant Henri Skiba, parti à Nîmes, Lucien Muller et Jean Wendling font figure de joueurs à forte valeur marchande. Ils s’envolent pour Toulouse, club du milieu de tableau fraîchement vainqueur de la Coupe de France. Curiosité, le recrutement toulousain est entièrement alsacien puisque le robuste centre-avant Ernest Schultz, natif de Dalhunden, et le demi-défensif schilikois Jean-Pierre Knayer rejoignent le TFC en provenance de Lyon. Accablé par le contexte politique et soumis à son éternelle cyclothymie, le Racing n’aura pas vraiment profité de ses joyaux de la classe 1934…

Dans un ensemble toulousain fort terne, les deux Alsaciens se distinguent durant deux saisons et attirent l’œil des recruteurs rémois qui négocient en parallèle pour rapatrier Raymond Kopa en Champagne. En rejoignant Reims, Wendling et Muller convoitent non seulement le titre de champion de France, mais augmentent également leurs chances de s’ouvrir les portes de l’équipe nationale. Nous reviendrons ultérieurement sur la carrière internationale de nos deux compères.

Comme attendu, le Stade de Reims écrase le championnat 1959-60, en dépit de la blessure au genou de Roger Piantoni. Jean Wendling fait bonne garde en compagnie de Robert Jonquet, Bruno Rodzik et Robert Siatka. Lucien Muller s’impose au milieu de la ligne d’attaque des héros de Suède, enfin réunis – seul Wisnieski demeura longtemps fidèle au RC Lens –, alimentant Just Fontaine alors à son zénith, quand il ne concluait pas lui-même les offensives.

Pas épargnées par les blessures, les vedettes rémoises récupèrent en 1962 leur bien abandonné à Monaco la saison précédente. Wendling et Muller sont acteurs d’une fin de saison à couper le souffle. Avant l’ultime journée, le Nîmes Olympique occupe la tête du classement. Suivent Reims et le Racing club de Paris. Les Gardois flancheront, battus par le Stade Français. Le Racing s’impose 2 buts à 1 à Monaco et pense avoir fait le plus dur. Reims doit s’imposer largement contre Strasbourg, club avec lequel les connexions sont multiples : on y retrouve deux emblématiques Rémois, Robert Jonquet sur le banc et Michel Leblond sur le terrain, sans parler de nos deux Alsaciens !
Adversaire idéal en somme, le RCS ne fait pas le poids et s’incline (5-1). A la fois suffisant et insuffisant pour départager Champenois et Parisiens, à égalité parfaite au classement : 48 points, 21 succès, 6 nuls et 11 défaites, différence de but de +23. Le règlement prévoit alors le calcul de la moyenne de buts consistant à diviser le nombre de buts marqués par le nombre de buts encaissés. Avec une moins bonne attaque mais une meilleure défense que le Racing CP, Reims est sacré champion !

Comme plus tard au cours des périodes hégémoniques de Saint-Etienne, de Marseille ou Lyon, intégrer le Stade de Reims à la fin des années 1950 représentait la voie royale pour accéder à l’Equipe de France. Une proximité renforcée par la double casquette d’Albert Batteux. Lucien Muller obtient sa première cape à Sofia en octobre 1959, lors d’un match qui n’avait d’amical que le nom. Roger Piantoni est en effet sauvagement blessé par un Bulgare, tandis que Just Fontaine écope d’une expulsion juste avant le coup de sifflet final. L’horizon dégagé par l’âge avancé de Marche et Jonquet, Jean Wendling sera du match suivant, à Colombes contre le Portugal.
Quatre Alsaciens sont titulaires le 17 décembre 1959 contre l’Espagne, pour un match organisé en faveur des victimes de la catastrophe du barrage de Malpasset, près de Fréjus. Il s’agit de la dernière sélection de François Remetter. Raymond Kaelbel se blesse en première période sur une extension, occasionnant l’entrée de Roger Marche, le héros du jour auteur de son unique but en sélection. Lucien Muller et Jean Wendling fêtent respectivement leur quatrième et troisième cape.

Nos duettistes font naturellement partie de la sélection française réunie pour la phase finale du premier Championnat d’Europe des nations, organisée à Paris et Marseille. Le comité de sélection déplore les absences de Kaelbel, Kopa, Fontaine et Piantoni. Seuls cinq joueurs faisaient partie de la campagne de Suède deux ans plus tôt. Pour la demi-finale contre la Yougoslavie, Albert Batteux aligne le jeune Robert Herbin au centre de la défense, en lieu et place du vieillissant Jonquet. Menant 4-2 à un quart d’heure de la fin, la France encaisse trois buts en cinq minutes. Si Herbin et le portier Georges Lamia sont jugés responsables de la déroute, Muller et Wendling, titulaires indiscutables depuis le début de saison, échappent à la vindicte médiatico-populaire. Batteux aligne ses remplaçants lors de la consolante contre la Tchécoslovaquie, disputée dans un Vélodrome désert.

Les deux Rémois d’Alsace font ensuite naturellement partie du Onze aligné en Bulgarie le 12 novembre 1961 pour un match décisif en vue de la Coupe du monde 1962. La France, qui n’a besoin que d’un match nul, tient le 0-0 à Sofia. A la 89ème minute, Muller se rend coupable selon M. Fencl, arbitre tchécoslovaque de la rencontre, d’une faute à l’entrée de la surface. Le coup-franc ne donne rien, mais l’homme en noir décide de le faire retirer, au grand dam des Français. Comme de juste, la Bulgarie finit par ouvrir le score et obtient un match d’appui. A noter que M. Fencl sera ensuite radié par la FIFA.
Un mois plus tard, échauffée par un bon nul contre l’Espagne, la France se rend à Milan avec de bons espoirs. Las, un but gag contre son camp du capitaine Lerond envoie les Bulgares au Chili. Ô Bulgarie, éternelle tourmenteuse du football français ! Six mois plus tard, Albert Batteux démissionne, laissant la place à l’adepte du béton Henri Guérin.
Durant quatre ans, Jean Wendling porta quasiment sans discontinuer la tunique bleue frappée du coq, associé en défense à Lerond, Bieganski ou Rodzik. Ralenti par une opération et victime du déclin brutal du Stade de Reims, le défenseur à la fine moustache s’effaça juste avant le fameux match contre le Brésil de Pelé en avril 1963. Pour sa part, Lucien Muller vécut une carrière internationale plus intermittente, la faute à sa traversée des Pyrénées.

En effet, les chemins de Wendling et Muller se sont séparés en 1962. Repéré par Di Stefano en personne lors d’un France-Espagne, Lucien Muller file au Real Madrid, à l’attaque toujours aussi destructrice quoique vieillissante. L’Alsacien évolue plus loin du but, mais ses qualités d’organisateur font merveille. Il garnit son palmarès de trois championnats consécutifs, perd la finale de C1 contre l’Inter Milan en 1964 et gagne le surnom de « Don Luciano ». Après trois saisons fructueuses, Muller rejoint le rival catalan, alors abonné aux places d’honneur. Il conquerra la pittoresque Coupe d’Europe des Villes de foire en 1966, ce qui conduisit l’état-major de l’Equipe de France à le rappeler en catastrophe pour la World Cup anglaise, deux ans après sa dernière sélection. La gestion de son retour en plein stage de préparation, justifié par les circonstances, pour ne finalement jamais quitter sa condition de remplaçant, vient s’ajouter à la liste des griefs accablant le triumvirat Guérin-Jasseron-Domergue, incapable de s’accorder autour d’une ligne directrice. Dès lors, le Bischwillerois au front haut consacra sa fin de carrière au FC Barcelone, avant de revenir faire la pige en D2 à Reims, l’occasion de faire remonter le club en 1970.

Achevée également dans l’anonymat de la D2, la carrière de Jean Wendling rebondit comme de coutume pour l’époque dans la vente d’équipements sportifs. Il devient VRP pour le compte de la marque Kopa. Pour sa part, Lucien Muller choisit une autre branche de reconversion pour les footballeurs et embrasse le métier d’entraîneur. A peine les crampons raccrochés, il retourne en Espagne, à Castellon dans la région de Valence. Il permet au club local d’accéder en première division en 1972 et en finale de la Copa del Generalisimo l’année suivante. Muller effectue ensuite plusieurs passages à Saragosse et Burgos.
Ces débuts encourageants attirent l’œil du nouveau président du FC Barcelone, fraîchement élu à la faveur de la transition post-franquisme. Pour faire oublier les départs de Johan Cruyff et Rinus Michels, Nuñez engage Lucien Muller, ancien joueur du club, et le buteur autrichien Hans Krankl. Muller est malheureusement démis de ses fonctions peu avant la finale de Coupe des vainqueurs de Coupes contre le FC Düsseldorf des frangins Allofs, gagnée par Barcelone (4-3). Il retourne à Burgos puis à Majorque, avant de répondre en 1983 à l’appel de la Principauté de Monaco.

Après une digestion délicate du titre de 1982, les dirigeants de l’ASM décident de tout changer. Le recrutement a fière allure : Bernard Genghini, Yvon Le Roux et Daniel Bravo seront champions d’Europe en fin de saison. Les deux étrangers, l’avant-centre allemand Uwe Krause et le libéro argentin Juan Ernesto Simon sont également de bonnes pioches. Autour d’eux restent les jeunes Ettori, Amoros, Puel et Bellone.
A la lutte tout la saison avec les Girondins de Bordeaux, Monaco perd finalement le titre à la différence de buts (+29 contre +39 à Bordeaux), la faute à un match nul à Toulouse lors de la 37ème journée – une fin de championnat rappelant furieusement celle de 1962. L’ASM s’incline également en finale de Coupe de France, battu par Metz après prolongation. Les Monégasques se rattraperont la saison suivante grâce à Genghini sur une partie de billard. Pour sa première expérience en France, Muller apporte une touche rigoureuse, témoignage d’un football espagnol encore marqué par le primat du physique au milieu d’un ensemble monégasque très offensif.

Eliminée dès le premier tour de C2 par Craiova, seulement neuvième du championnat en 1986, l’ASM semble décrocher malgré des moyens toujours confortables. Lucien Muller fait les frais de cette saison manquée, seulement embellie par l’exceptionnel succès 9-0 face à Bordeaux en janvier et verra indirectement un autre Alsacien lui succéder, après un intermède Kovacs guère plus fructueux.

Ces références ont pu, à au moins deux reprises, mettre la puce à l’oreille des dirigeants du RC Strasbourg, dans leur quête permanente de l’homme providentiel, d’autant plus attendu lorsqu’ancien du club et a fortiori Alsacien. A l’automne 1981, au hasard d’une visite familiale dans la région, alors que la succession de Raymond Hild est ouverte, la presse croit voir le retour du fils prodigue. Mais Lucien Muller est sous contrat avec Majorque et ne brûle d’envie de rejoindre le 15ème de D1.
Deuxième approche, sans doute plus concrète, en 1986. Muller est toujours officiellement entraîneur de Monaco, au moment où Jean Willaume mène des consultations tous azimuts pour l’intersaison. Il souhaite adjoindre un technicien expérimenté à Francis Piasecki. L’affaire ne se fera pas, même après le renvoi de Muller. Il jouera néanmoins un rôle dans le prêt à des conditions très favorables par Monaco au Racing de Juan Ernesto Simon en novembre 1986. Retiré des affaires après un dernier passage à Castellon, Don Luciano continuera de faire bénéficier l’AS Monaco de précieux conseils en matière de recrutement, notamment en Amérique latine (Gallardo, Marquez, Contreras).

Fort de son réseau professionnel acquis chez Adidas, Jean Wendling sera également ciblé par le Racing, dans un costume de dirigeant. Il sert en quelque sorte de caution technique à la société d’économie mixte bâtie en urgence en 1990 sur les cendres fumantes et fumeuses de la présidence Hechter. Confrontée à un déficit record, la municipalité Trautmann confie la présidence à un jeune industriel local, Jacky Kientz, sous le patronage informel d’Emile Stahl. Désireuse de ré-alsacianiser le RCS, la nouvelle direction rappelle Max Hild et fait donc entrer Wendling dans la boucle. En attendant la fin de contrat d’un célèbre Neuchâtelois...
Cet événement intervient en 1991, Strasbourg retrouve au forceps sa place dans l’élite au printemps 1992. Mais les démêlés judiciaires personnels du président Kientz le poussent à la démission. Pas forcément demandeur, Jean Wendling est porté à la présidence du Racing. Il tiendra deux saisons avant de démissionner, lassé des soubresauts du « microcosme » et de l’intransigeance de Gilbert Gress qui lui reprochera éternellement la vente de José Cobos au PSG en 1993. Wendling reviendra à la tête du conseil de surveillance sous la présidence Proisy. Son fils Thierry figure depuis une quinzaine d’années parmi les actionnaires minoritaires tout en exerçant des fonctions au centre de formation.

Figures marquantes du football alsacien, Jean Wendling et Lucien Muller ont dû quitter le Racing prématurément : leur transfert a permis de renflouer les caisses du club, tout en leur offrant l’opportunité de progresser. Une véritable constante dans l’histoire du RCS, contraint à intervalles réguliers de sacrifier son avenir pour sauver le présent.

kitl

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