L'employé du mois

Pierre Desproges avait coutume de dire dans ses spectacles qu'il détestait les rappels et il est vrai que, même après un bon concert, on peut parfois trouver la formalité pesante. C'est peut-être ce que s'est dit Laurent Fournier en débarquant à la Meinau pour mettre à l'essai, sur oukase présidentiel, une dizaine de joueurs dont il ignorait l'identité jusqu'à ce matin. Toujours est-il que celui qui est encore l'entraîneur n'a pas dérogé à ses habitudes en sortant des vestiaires à 10 heures pile, accompagné de son staff et des mis à l'essai, vêtus pour l'occasion du maillot extérieur de cette saison.

L'intendance du Racing ne s'attendait pas à un retour aussi rapide de joueurs, et les buts avaient déjà été retirés des terrains d'entraînement, l'un d'entre eux étant même arrosé au moment où les joueurs déboulent, portant donc les cages qu'ils utiliseront à la fin de la séance. On dénombre à ce moment là huit joueurs de champ et un gardien, visiblement tous francophones. On apprendra plus tard qu'ils sont Français et ont évolué en CFA ou dans des équipes réserve de clubs pro, voire en Ligue 2. Ils ont été choisis directement par Jafar Hilali, sur CV. Leur identité exacte est détaillée sur le site de l'Alsace.



La séance commence par un rapide échauffement, suivi de quelques exercices techniques assez basiques, menés comme de coutume par Jacky Canosi.



Au bout d'une vingtaine de minutes un retardataire arrive, tout sourire. L'information concernant cette mise à l'essai a visiblement bien circulé, et intéressé. C'est une petite foule qui se masse progressivement autour de la grille, mêlant suiveurs, journalistes et agents venus surveiller les exploits de leurs poulains.



Vers le milieu de la séance, Adil El Barkaoui fait son apparition, captant immédiatement toute l'attention. Relativement avenant, et volubile, il discute un peu avec tout le monde et semble goûter ce petit quart d'heure de gloire. Il faut dire que même la radio et la télévision sont venus recueillir la « bonne parole » (sic) de celui qui est de facto le nouveau directeur sportif du club, même s'il tient à préciser qu'il n'a pas encore officiellement accepté le poste.



Imperturbables, joueurs et staff poursuivent leur séance d'entraînement, à laquelle plus grand monde ne prête attention, car c'est le show El Barkaoui qui commence.



La conférence de presse improvisée va durer quasiment jusqu'à la fin de la séance. Plutôt bonhomme, et semblant soucieux de faire bonne impression, Adil El Barkaoui répète à l'envie qu'il « aime le foot », « aime le Racing » et qu'il est venu pour « aider ». Un discours relativement modeste et conciliant qui se grippe dès qu'il rencontre les premières aspérités de la gestion incohérente du président, absent comme toujours. Confronté par les journalistes aux derniers épisodes rocambolesques en date, il botte immédiatement en touche, renvoyant la balle vers Jafar Hilali, qu'il défend mezzo vocce. Sur lui-même, on apprend peu de choses, à part qu'il est dans le milieu du football depuis un an et demi environ et qu'il gère la carrière de joueurs – mais il ne veut pas dire lesquels.



Forcément, la sempiternelle tarte à la crème du « projet » arrive dans la discussion. Adil El Barkaoui a donc un « projet », qu'on se le dise. Mais lequel ? Et bien c'est très simple : il faut s'appuyer sur le centre de formation, constituer une équipe avec des jeunes que l'on entourera de quelques cadres. Mazette, voilà un plan auquel personne n'avait seulement songé jusqu'à ce que l'extralucide M. El Barkaoui déscende de son nuage pour dispenser le gospel aux habitués de la Meinau. Un discours aussi lénifiant que creux, qui continue quand les nombreux conflits autour du club sont évoqués. Comme ses nombreux prédécesseurs dans le rôle, Adil El Barkaoui veut que tout le monde « discute », et pense qu'il faut restaurer la « cohésion » tout en vantant les bienfaits d'un dialogue que chacun sait impossible. Il sert également l'habituelle ligne de défense éculée sur Jafar Hilali qui consiste à dire que notre munificent président a tout de même mis beaucoup d'argent et qu'il a été si mal accueilli à son arrivée, allant même jusqu'à ressortir la blague désopilante selon laquelle Son Altesse Sérénissime est à Strasbourg pour « trente ans ». L'ensemble constitue un salmigondis d'une grande vacuité qui donne l'impression d'avoir déjà été entendu mille fois avec Ralph Isenegger, Luc Dayan, Stéphane Tessier, Jean-Claude Plessis et tant d'autres pantins venus amuser la galerie, prendre un peu d'argent et s'en aller vite fait sur fond de brouille avec l'autocrate fantoche qui impose depuis bien trop longtemps ses lubies au Racing.

On n'aura donc pas appris grand chose, si ce n'est qu'El Barkaoui souhaite travailler avec Laurent Fournier et semble conditionner sa venue en tant que directeur sportif au maintien du coach. La vraie question serait plutôt de savoir comment le Racing pourrait faire pour donner envie à un entraîneur unanimement respecté de rester au club, mais là-dessus on n'a évidemment rien entendu. Ce point est d'ailleurs à l'image de la prestation globale du favori du moment : de vagues déclarations d'intentions qui ne mangent pas de pain mais aucune méthode pour concrétiser la chose. Au passage, El Barkaoui n'aura également eu de cesse de mettre en avant sa « transparence » et son « honnêteté ». Ce dont on ne saurait douter si cet élément ne revenait pas trop souvent dans le discours, à l'image du vendeur qui essaie en toute franchise, bien sûr, de vous fourguer une voiture d'occasion bien fatiguée sous son capot encore présentable. La probité de M. El Barkaoui n'est certes pas en cause, mais s'il croit vraiment les âneries qu'il débite fièrement alors il est réellement d'une naïveté confondante. En attendant, le Racing n'a hélas pas fini de se vautrer dans la fange.